mardi 1 mai 2012


L’obéissance… Ou la racine de la corruption et de la tyrannie
           
            Chers frères, chères sœurs,

Les étants naturels empruntent les chemins les plus faciles. Ils n’ont ni ambition ni résistance. Par exemple, si un obstacle fait obstruction à un cours d’eau ruisselant, ce dernier va illico presto s’en écarter pour emprunter le chemin le plus facile. Seul l’homme constitue une exception à la règle, ce qui fait de lui un phénomène extraordinaire : bien qu’il ait un côté naturel - à savoir son corps, assujetti aux phénomènes naturels -, sa composante principale relève du domaine surnaturel « Quand Je lui aurai insufflé de Mon Esprit » (Coran, Sâd : 72). C’est pour cela que cet être paie le prix de ses ambitions et de ses aspirations, étant donné qu’il marche dans le sens inverse de l’attraction - non seulement de l’attraction planétaire, mais aussi de l’attraction des passions et des penchants de son âme -, et ce,  en vertu de la responsabilité qui lui a été confiée : celle de la liberté, la liberté de choisir.
« Alors que se soumet à Lui, bon gré, mal gré, tout ce qui existe dans les cieux et sur la terre, et que c’est vers Lui qu’ils seront ramenés » (Coran, âl- ‘Imrâne : 83). Dans ce verset, il est dit que les humains se soumettent à Dieu de bon gré, tandis que le reste des étants naturels cosmiques se soumet à Lui malgré eux. L’homme choisit de s’imposer à lui-même des contraintes que la coutume ou la religion ont dessinées et qu’il trouve agréables, car elles vont dans le sens de son intérêt (en ce sens qu’elles le guident et lui procurent du bonheur). C’est ce qu’on appelle l’autocontrôle qui ne contredit en rien la liberté, c’en est même l’essence.
Certaines personnes envient les tyrans parce qu’ils font ce qu’ils veulent, sans s’assujettir à une quelconque autorité, que ce soit celle de la religion ou de la conscience. Mais une analyse fine montre qu’ils ne sont pas libres : en effet, le tyran commence par perdre sa propre personne. Platon (428 – 347 av. J.C) a qualifié le tyran de «  Grand animal ». Le grand tyran est un grand animal en fait, qui plonge au plus profond de son animalité à mesure qu’il plonge dans sa tyrannie. L’obsession du tyran de devenir un dieu le pousse toujours en fin de compte à se transformer en un animal sauvage. Mais ceci ne peut être compris que si l’on comprend l’essence de la liberté.
Hegel (1770 – 1830) a traité de l’état naturel - ce que nous appelons nature originelle, « Fitra ». Jean-Jacques Rousseau (1712 - 1778) fit, à l’instar des romantiques, l’éloge de cet état naturel. C’est la raison de leur volonté d’explorer des sociétés primitives et d’étudier l’homme primitif - à savoir la condition initiale de l’homme avant la constitution des sociétés et des Etats-, car la société et l’Etat signifient plus de contrainte et plus de contrôle. Hegel a montré que l’état naturel est un mélange de violence, de brutalité et d’absence de contrôle sur les passions et sur les instincts. Il a expliqué qu’il n’est possible d’appréhender la liberté,- qu’elle soit individuelle ou collective-, qu’en saisissant les contraintes que la société ou l’Etat instituent. C’est cela le sens de l’autodétermination. C’est d’ici que vient cette citation : « L’essence de la liberté est l’autodétermination ».
Mais pour simplifier et expliquer, je dirais que toute activité humaine a deux composantes : une forme et un contenu. L’écriture a une forme et un contenu, le football aussi, le prêche également, ainsi en est-il de la liberté, de l’alimentation, de l’habillement, etc. L’essence de toute chose est dans son contenu et non dans sa forme. Par exemple, l’écriture qui est vidée de son vrai fond n’est rien d’autre qu’un amas de phrases, une pléthore de mots dénués de tout sens.
La liberté aussi a un contenu et une forme. Sa forme peut être définie sous l’angle de la théorie des possibilités. Considérée sous cet angle, la liberté signifie la possibilité de faire tout et n’importe quoi. Mais qui peut soutenir que c’est cela la liberté ? Quant au contenu de la liberté, il ne peut être défini que de manière circonscrite dans un domaine donné, et selon des concepts et des valeurs précis.
Si cette limitation émane de ma propre volonté et de mon accord, ceci ne contredit pas la liberté, c’est même l’essence de la liberté. Exemplifions : nous sommes des habitants d’un même quartier, et nous remarquons que la signalisation des feux de circulation à un carrefour donné ne fonctionne pas correctement, fait qui cause nombre d’accidents. Nous proposons, de concert, à la Commune, d’installer de nouveaux feux de signalisation. Ce qui arrive après cela, c’est que nous nous conformons à la nouvelle signalisation sans sentir qu’elle limite notre liberté le moins du monde, car notre liberté s’est cristallisée au gré de notre volonté.
Sur base du principe selon lequel la liberté serait une forme d’autolimitation, Montesquieu (1689- 1755) a défini la liberté, dans L’esprit des lois, comme étant l’obéissance aux lois. En conséquence, l’être ne relève point de contradiction entre son sentiment profond de jouir de sa liberté, - bien qu’il soit limité par les lois religieuses -, et les valeurs et normes sociales qui trouvent sens à ses yeux, « Montre-toi indulgent, ordonne ce qui est conforme à la coutume » (Coran, al- A‘râf : 199).
            J’ai mentionné les lois religieuses pour signaler que lors de l’établissement des grands principes, comme celui des Droits de l’Homme, on a besoin de baser notre construction sur des fondements supérieurs, car il est difficile de baser de tels principes sur des fondements immanents.
J’ai avancé ces quelques éléments en guise d’introduction à ce que je considère être la racine de la plupart de nos problèmes politiques et sociaux. Seuls quelques rares intellectuels distinguent les conceptions qui conditionnent l’individu ou la société de leurs expressions et manifestations. Et, parmi ces conceptions qui nous gouvernent, il y a l’obéissance qui est synonyme d’un côté de sujétion et de subordination, de l’autre de domination et d’oppression. Je parlerai donc de la propension à l’obéissance, ou mieux encore d’obédience, à savoir le fait de pratiquer l’obéissance et de la percevoir comme étant la cime des vertus, la valeur suprême et le comportement idéal. Or, il va sans dire que cette obédience n’a rien à voir avec l’obéissance que Dieu swt et Son Envoyé nous ont commandée, et qu’elle ne constitue que ce que les despotes et les tyrans prescrivent pour faire perdurer la situation de subjugation et d’asservissement.
Il est de notre droit de nous demander, avec vigueur : comment peut-on nous priver de ce dont Dieu nous a honorés- en nous offrant la liberté de Lui obéir ou de contrevenir à Son ordre et à Ses interdits ?- « Nous l’avons guidé dans le chemin, - qu’il soit reconnaissant ou ingrat – » (Coran, al- Insân : 3). « Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée; et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété! » (Coran, al- Shams : 3). L’harmonie ne signifie pas ici un comportement angélique. En effet, nous autres humains ne pouvons trouver une harmonie que dans cette contradiction opposant la licence et la piété. Aussi, notre humanité se manifeste dans la façon dont nous élisons notre voie, nos idées et nos valeurs entre tous les antagonismes et toutes les alternatives qui s’offrent à nous,- élection ô combien pénible! Notre vie spirituelle étant traversée par des doutes, des parasitages, des questionnements, des polémiques, des progressions et des stagnations, des mutations et des concessions. Toutefois, ceci témoigne de la grandeur de l’homme, laquelle l’a qualifié à être le maître de cet univers et le vicaire de Dieu sur Sa terre. Combien est formidable cette citation de Tagore : « Je crois en Dieu parce qu’Il m’a donné la liberté de mécroire en Lui ! ».
Mais la société et la culture : le père, la mère, le professeur et le cheikh, le gouverneur et le souverain, l’écrivain, le poème, le roman, le proverbe, tous essaient de nous priver de cet honneur et de nous faire croire qu’il ne faut pas réfléchir parce qu’ils réfléchissent à notre place, et qu’il ne faut pas choisir puisqu’ils ont choisi pour nous.
Cependant, évidemment, ceci ne constitue pas le dessein de Dieu lorsqu’Il honora l’homme et qu’Il le désigna comme vicaire sur terre. C’est plutôt la stratégie des despotes. Quiconque essaie de te duper à propos de cette vérité est un sbire des tyrans. Et même si ces derniers le disgracient, le torturent, il restera leur serviteur. Ce genre de sbires entérinent un certain état d’esprit et prêtent main forte à une conception sociale qui écrase l’individualité de l’homme et sa singularité, si bien que l’individu devient incapable de se penser comme un être indépendant qui a ses propres choix, ses propres capacités, - car chacun de nous est un univers. D’aucuns ont dit : « Le facteur commun entre les humains est le fait qu’ils soient différents, et ce qui les distingue le plus est leur diversité ». C’est pour cela que même si ce type de personnes s’oppose à un tyran, ce sera pour le faire remplacer par un autre. Aussi veulent-ils faire de nous des esclaves au-dessus desquels se succèdent des maîtres au nom de la religion, de la Nation, etc.
Dans nos sociétés, nous ne trouvons personne pour nous parler de nos personnes, non en tant que communauté ou peuple, mais en tant qu’individualités : de moi, de toi, de lui. Notre individualité est dissoute dans l’ensemble, notre identité est l’identité de l’ensemble, nos choix sont les choix de l’ensemble : nul n’a d’existence en dehors de l’ensemble. Ceci perpétue les conditions propices à l’obédience.
Dans le Livre de Dieu et la Sunna de Son noble Envoyé, l’obéissance n’a rien à voir avec la subordination : elle signifie le libre choix. Etymologiquement parlant, le terme obéissance « Tâ‘a » veut dire accepter d’être mené de plein gré « Son âme l’incita à tuer son frère » (Coran, al- Mâ’ida : 30), « Et si quelqu’un fait plus de son propre gré, c’est pour lui » (Coran, al- Baqara : 184). Il s’agit donc de s’imposer une chose qui n’est pas exigée de soi a priori, mais que l’on fait de manière volontaire. Jarîr ibn ‘Abdullâh nous rapporte cet échange avec le Prophète sws: « - Je fais acte d’allégeance au Prophète sws en m’engageant à écouter et à obéir. - Dans la mesure de tes possibilités, me dit-il, et à donner conseil à tout musulman»[1]. Par ailleurs, ‘Abdullâh b. ‘Umar a dit : « Nous faisions allégeance au Prophète sws en nous engageant à écouter et à obéir, et il nous précisait : dans la mesure de vos capacités »[2]. Il est donc évident que, dans la perspective islamique, l’obéissance ne peut cohabiter avec la contrainte et qu’elle en est l’opposé absolu.
Mais comment se fait-il qu’on comprenne l’obéissance comme étant la soumission à une domination ? Dire oui alors qu’on n’est pas convaincu n’est en rien de l’obéissance, c’est plutôt de la subordination et une aliénation de l’individu, qui fait, en fin de compte, qu’il ne vaut pas plus qu’un chiffre, qu’un membre du troupeau. Or, ceci est la meilleure chose que l’on puisse offrir au tyran pour qu’il se divinise et s’enfle davantage d’orgueil. C’est pour cela que la cause principale d’un tel état des choses n’est ni l’injuste, ni son régime, mais bien moi, toi, le père, la mère, la maison, l’école, la mosquée et l’université : c’est nous qui préparons au tyran le troupeau d’équidés à monter et le troupeau de brebis à sacrifier. Homère (VIII ème siècle. av. J.-C) appelait les despotes « dévoreurs des peuples ».
Dans la psyché du tyran, rien n’existe à part son propre ego, comme dit une fois Muhammad ‘Abduh à propos de Muhammad ‘Alî Bâsha : « Cet homme ne tolère en Egypte aucune altérité si ce n’est son ego ». Tous les tyrans à travers les siècles n’ont foi qu’en eux-mêmes. Il n’y aurait qu’un seul ego et une seule personne, le reste n’étant, pour eux, qu’un troupeau. Il est vrai, concèdent-ils, qu’il existe des femmes, des hommes, des artisans, des savants, mais ils sont toujours conçus comme un ensemble. Rien n’attise plus la colère du tyran qu’un nom qui se distingue, serait-ce dans le domaine du football : un joueur dont les masses clament le nom serait une atteinte à la divinité et à l’unicitude du tyran.
Ce qui précède explique nombre de choses qui nous paraissent très différentes lorsqu’elles sont abordées à l’aune de l’interprétation que nous proposons ici. Par exemple, pourquoi ne nous respectons-nous pas les uns les autres ? Beaucoup de ceux qui montrent du respect aux autres le font par servilité et opportunisme - si la personne respectée détient de l’autorité au niveau ministériel par exemple. Cette servilité peut atteindre la servitude. Or, la différence entre le respect et la servilité est aussi grande que celle entre la liberté et la servitude. Et si la personne respectée est ordinaire, ce respect est souvent de l’opportunisme, pour la duper dans ses biens, sa famille ou autre chose. Le Prophète sws a dit : « Et les gens du Feu sont de cinq sortes… et un homme qui, matin et soir, essaie de te duper dans ta famille et tes biens »[3].
Et selon Abû Jubayra b. al- Dahhâk : « Quand le Prophète rrr émigra à Médine, il n’y avait pas d’homme parmi nous qui n’avait pas deux ou trois qualificatifs ; à chaque fois que l’un de nous était appelé par l’un de ces qualificatifs, on disait au Prophète sws : « Ô Prophète, cela le contrarie ! ». C’est la circonstance de révélation de ce verset : « et ne vous lancez pas mutuellement des sobriquets (injurieux) » (Coran, al- Hujurât : 11)[4]. Il ne convient pas d’appeler quelqu’un de ton âge : « garçon ! », ou « mon enfant ! ». Le Prophète rrr appelait  ‘Alî « Ô frère ! » alors qu’il n’avait pas encore atteint la vingtaine. C’est ainsi qu’il appelait aussi Mu‘âdh Ibn Jabal, qui est décédé à l’âge de trente-trois ou trente-quatre ans. Aussi, Mâlik ibn Anas avait un petit frère alors âgé de cinq ans, le Prophète sws avait l’habitude de lui donner un surnom et de lui dire : « Ô Abû ‘Umayr, qu’a-fait le Nughayr »[5]. Il l’appelait ainsi pour lui donner de l’estime de soi, par respect envers sa personne.
Ce que je veux dire est qu’il est impossible à celui qui ne se respecte pas soi-même de respecter les autres. Quand celui qui ne se respecte pas soi-même montre du respect aux autres, il le fait par opportunisme et arrivisme, ou bien par crainte et servitude, tandis qu’il s’enfle d’arrogance et d’outrecuidance à l’égard de ceux qu’il estime en-deçà de son niveau : il les traite avec dureté, les opprime et se comporte avec eux de manière indigne, que ce soit du point de vue de la convenance ou de la religion.
Ainsi l’homme perçoit-il les autres à l’aune de son propre prisme, car il n’est pas possible de percevoir les autres avec un autre prisme que le sien. Bakr ibn ‘Abdullâh al- Muzanî a dit : « Si tu veux voir quelqu’un qui regorge de défauts, cherche un persifleur. Celui-ci ne critique chez les autres que ses propres tares : il sait qu’il est menteur et il s’imagine que tous les gens sont menteurs ; il est convaincu de sa déloyauté, ne fait confiance à personne et s’imagine que tous sont déloyaux comme lui ». Abû al- Tayyib al- Mutannabî a exprimé cette nuance en disant :


Lorsque les actes de l’homme sont mauvais, ses présomptions le deviennent aussi,
Si bien qu’il finit par croire aux illusions auxquelles il s’est habitué
Il déclare son inimitié à ses proches se basant sur les dires de ses ennemis
Et plonge ainsi dans une nuit sombre de doute

Le phénomène de respect peut également être interprété à la lumière de la période d’enfance : la clef de nos énigmes est dans notre enfance, notre passé, et non dans nos paroles, ou notre aspect extérieur. Celui qui manque de respect envers les autres le fait parce qu’il manque de respect vis-vis de lui-même en fait : il oscille entre la peur et la colère. Ou bien a-t-il peur des autres ou bien est-il en colère contre eux. Le Prophète sws a dit : « C’est celui qui dit que les gens ont péri qui a le plus péri »[6]. Il peut arriver à tout un chacun de faire la rencontre de personnes dont il admire la générosité, la sincérité, la spontanéité, la bonté, et la haute moralité. Mais il est des personnes qui ne voient chez les autres que des défauts et des tares. Le problème de celles-ci prend source dans leur enfance. La peur et la colère sont deux manifestations de la subordination et de l’oppression. Celui qui est opprimé vit constamment dans la peur et la colère, parce que l’on exige de lui qu’il se comporte d’une façon contraire à la vraie nature dont Dieu l’a doté. Celui qui ne respecte pas les autres n’était pas respecté lorsqu’il était encore enfant. On ne l’appelait pas par de petits noms affectueux, et lorsqu’il commettait une erreur, il en entendait des vertes et des pas mûres. Quel crime fait-on à nos enfants ! C’est de cette façon que nous fabriquons des tyrans et que nous leur préparons des esclaves. Nous fabriquons de la servilité mesquine d’un côté, et de la rébellion dévastatrice de l’autre.
Ceci explique certaines catastrophes qui frappent nos pays : ou bien une soumission servile, ou bien des explosions et des attentats, mais pas le juste milieu ! (Je parle, de toute évidence, de la situation générale dans ces pays). Tout cela advient parce que ces sociétés sont opprimées et privées de crédibilité, de créativité, de liberté, de ces choses que l’on peut résumer en un seul mot : l’indépendance. Aide la personne à être indépendante et tu la verras libre, créative et sincère ! Tel est le bon départ. Un homme influant dans son pays m’a raconté un jour une anecdote : son oncle le frappa devant tout le monde alors qu’il était marié et avait plusieurs enfants. Il réagit en embrassant la main de son oncle sans émettre le moindre commentaire. Quelles sociétés folles ! Des sociétés qui ont perdu leur bon sens et leur raison. On se complait à attribuer ce genre d’attitudes à la religion ou à la convenance alors qu’en vérité elles témoignent d’une confusion des choses, d’un tohu-bohu qui fait perdre tout sens aux choses.
A l’inverse, la Sira nous raconte l’histoire de Sawwâd ibn Ghaziyya. En effet, le Prophète sws, alors qu’il était occupé à aligner les rangs le jour de la bataille de Badr, le trouva mal aligné. Le Prophète sws le frappa sur son ventre avec son bâton et lui demanda de regagner le rang. Celui-ci répondit : « Ô Messager de Dieu ! Dieu t’a envoyé avec la vérité et la justice, tu m’as fait mal, alors laisse-moi me rendre justice à moi-même! ». Le Prophète sws découvrit son ventre et lui demanda de rendre justice à lui-même. Toutefois, Sawwâd se jeta sur le Prophète sws, le serra et embrassa son ventre. Quand le Prophète sws lui demanda ce qui l’avait poussé à agir ainsi, Sawwâd répondit : « Ô Envoyé de Dieu ! On se prépare à affronter l’ennemi, comme tu vois. Et je veux que le dernier souvenir que j’aurai de toi soit le fait que ma peau ait touché la tienne ! », et Sawwâd de recevoir les prières du Prophète sws.
Si l’on examine le fonctionnement d’une école, on remarque que les professeurs se comportent de manière oppressante envers leurs élèves ; cependant qu’eux-mêmes demeurent assujettis aux livres établis par le programme. L’enseignant se borne à inculquer un maximum de choses à ses élèves. Paulo Freire (1921 – 1997) a appelé cette manière d’enseigner « Éducation bancaire ». Le livre est pris pour un Livre Saint, tandis que l’enseignant ressemble plus à un prêtre qui l’enseigne. Aucun écart n’est toléré par rapport au texte, nul questionnement n’est permis. De surcroît, l’élève est réprimé par l’enseignant, ce dernier étant lui-même réprimé par le directeur de l’école, celui-ci étant à son tour réprimé par l’inspecteur, et ainsi de suite.
Lors de la construction de l’Université du Caire, Cromer (1841 – 1917) - le Régent britannique en Egypte de l’époque-, disait ceci : « Nous devons respecter les particularités du peuple égyptien en matière d’éducation, car l’enseignement chez eux est mémorisation et apprentissage, et ceci doit demeurer inchangé ». Pas de réflexion, de débat, ou de critique. Il ne fait pas de doute que les colonisateurs savent les avantages de ce système éducationnel pour le colonialiste.
Pour désigner la plus haute autorité, nous parlons du chef de l’Etat[7]. Et combien la langue peut être moqueuse ! Le chef est pour l’Etat ce qu’est la tête pour le corps : il est la plus haute autorité, tout comme la tête loge en-haut du corps et abrite le cerveau. Le chef d’Etat serait donc censé réfléchir pour nous et à notre place : il n’est pas comme nous. Si nous comparons ce genre de chefs d’Etat au Prophète sws, nous réalisons que le Prophète sws se considérait comme un membre de sa communauté. « Et moi, je dois ramasser des rameaux de bois » disait-il une fois à ses compagnons. Il était très contrarié si ces derniers se levaient de leur place pour le saluer et leur interdisait cela formellement : « Celui qui aime que les gens se lèvent pour le saluer, qu’il s’attende à trouver sa place en Enfer », disait-il. Il prenait lui-même ses affaires avec ses mains et refusait que l’un ou l’autre compagnon le fasse et disait : « Il revient plus au propriétaire de prendre ses affaires ». Aussi, il rapiéçait ses chaussures et raccommodait ses habits et aidait dans les tâches ménagères. Malgré cela, il disait à ses compagnons : « Je ne m’estime guère favorisé sur quiconque, si ce n’est par la prophétie ». Il ne se distinguait effectivement d’eux ni dans sa façon de s’habiller, ni par une place particulière dans ses assemblées, car il s’installait là où il trouvait une place, si bien que lorsque des étrangers venaient le rencontrer, ils ne le reconnaissaient pas entre ses compagnons.
Un autre phénomène déplorable que l’on relève dans notre réalité, est celui qui a trait à la punition générale, que ce soit dans nos foyers, à l’école ou autre. Il suffit que quelqu’un fasse une faute, et voici que l’ensemble est puni. Certains justifient cette injustice en citant le faux adage qui dit que la bonté [divine] est personnalisée tandis que lorsque la punition vient, elle frappe l’ensemble ! Il n’est pas étonnant que cette mentalité sévisse dans des sociétés qui ne croient pas en l’individualité de l’être et en son indépendance, qui continuent à considérer les individus comme membres d’un troupeau.
Comme ceci est loin de la parole de Dieu swt ! « Nul ne portera le fardeau d’un tiers » (Coran, al- An‘âm : 164). Même Dieu ne s’est pas donné cette prérogative, de punir le groupe pour les erreurs d’un ou deux individus. Ceci est l’injustice dont Dieu swt s’est purifié « Toute âme aura à assumer le poids de ses œuvres  » (Coran, al- Muddaththir: 38). Et au lieu de conformer leurs actes au Coran, certains mentent sur Dieu en lui attribuant un prétendu hadith Qudsi où Il aurait dit : « Je suis satisfait quand Je suis obéi. Quand Je suis satisfait, J’apporte ma bénédiction. Ma bénédiction n’a pas de limites. Mais lorsque Je suis désobéi, Je me courrouce. Et lorsque Je suis en colère, Je maudis. Ma malédiction frappe la descendance jusqu’à la septième génération! »[8]. Or ceci est un mensonge forgé de toutes pièces ! Ceux qui ont fabriqué cette tradition se sont-ils demandé qui étaient ‘Ikrima ibn Abî Jahl et ‘Umar ibn al- Khattâb, et qui étaient leurs parents ?
L’être opprimé sera ou bien un esclave mesquin, ou bien un despote. Très mince est sa chance de vivre de manière saine, sans commettre l’injustice ou la subir, sans être ni victime ni bourreau.
Dans ce genre de conditions d’obéissance qui prédominent dans nos institutions sociales -qu’elles soient matérielles ou symboliques-, les choses finissent par perdre leur sens : ainsi en va-t-il de l’amour, de l’amitié, du mariage, de la loyauté, de la fidélité, de la foi, de la noblesse, de l’honneur, de l’engagement, etc… Les tyrans pensent se dispenser de ces valeurs, car la façon dont ils se perçoivent eux-mêmes et dont ils perçoivent les autres les en prive. L’esclave n’arrive pas non plus à saisir le sens de ces vertus car celles-ci naissent et se développent hors des relations de tyrannie/servitude. En effet, l’amour, l’amitié, la loyauté, la fidélité, etc. ne prennent vie et sens que dans une relation équilibrée.
Ceci nous aide à comprendre la vitesse et la manière dramatique avec lesquelles nos relations se brisent, bien que certaines aient duré dix ou vingt ans. En effet, elles représentent en vérité des relations d’asservissement, entre un maître fort et dominant et un esclave faible et dominé. Et bien évidemment, le maître peut congédier son esclave à n’importe quel moment, tandis que le souci qui hante continuellement l’esclave est d’échapper à son maître. L’honneur, la parole, l’engagement, l’amitié et l’amour du réprimé n’ont aucune valeur, pas plus que ceux du despote. 
Je voudrais conclure par cette question importante : Quel est le poids, aux yeux du tyran, d’une ou de deux personnes libres qui sèment le trouble? Il peut facilement les mettre dans les geôles ou les traîner à la guillotine ! Mais que peut-il faire face à dix millions d’hommes et de femmes libres ? On devrait plutôt poser la question en ces termes : « Que peuvent-ils faire de lui ? ».
En définitive, la balle est dans notre camp. Posons-nous donc la question de la liberté : comment faire naître des êtres libres, indépendants et responsables ? Si vous trouvez la bonne réponse, vous avez réponse à toutes les questions.

Et louange au Seigneur des mondes.



[1] Rapporté par al- Bukhârî et de Muslim.
[2] Rapporté par al-Tirmidhî dans son Jâmi‘.
[3] Rapporté par Muslim dans son Sahîh.
[4] Rapporté par Ahmad et Abû Dâwûd.
[5] Al- Nughayr, un oiseau qui ressemble au canari. Ndt.
[6] Rapporté par Muslim.
[7] Littéralement, la tête de l’Etat. Ndt.
[8] Ceci est en vérité une tradition israélite forgée, recensé par Ahmad dans al- Zuhd d’après Wahb ibn Munabbih, comme quoi Dieu s’est adressé en ces mots aux fils d’Israël.