L’obéissance… Ou la racine de la corruption
et de la tyrannie
Chers frères, chères sœurs,
Les étants naturels empruntent les
chemins les plus faciles. Ils n’ont ni ambition ni résistance. Par exemple, si
un obstacle fait obstruction à un cours d’eau ruisselant, ce dernier va illico
presto s’en écarter pour emprunter le chemin le plus facile. Seul l’homme
constitue une exception à la règle, ce qui fait de lui un phénomène
extraordinaire : bien qu’il ait un côté naturel - à savoir son corps,
assujetti aux phénomènes naturels -, sa composante principale relève du domaine
surnaturel « Quand Je lui aurai insufflé de Mon Esprit » (Coran,
Sâd : 72). C’est pour cela que cet être paie le prix de ses ambitions et
de ses aspirations, étant donné qu’il marche dans le sens inverse de l’attraction
- non seulement de l’attraction planétaire, mais aussi de l’attraction des
passions et des penchants de son âme -, et ce,
en vertu de la responsabilité qui lui a été confiée : celle de la
liberté, la liberté de choisir.
« Alors que se soumet à Lui, bon
gré, mal gré, tout ce qui existe dans les cieux et sur la terre, et que c’est
vers Lui qu’ils seront ramenés » (Coran, âl- ‘Imrâne : 83). Dans ce
verset, il est dit que les humains se soumettent à Dieu de bon gré, tandis que
le reste des étants naturels cosmiques se soumet à Lui malgré eux. L’homme
choisit de s’imposer à lui-même des contraintes que la coutume ou la religion
ont dessinées et qu’il trouve agréables, car elles vont dans le sens de son
intérêt (en ce sens qu’elles le guident et lui procurent du bonheur). C’est ce
qu’on appelle l’autocontrôle qui ne contredit en rien la liberté, c’en est même
l’essence.
Certaines personnes envient les tyrans
parce qu’ils font ce qu’ils veulent, sans s’assujettir à une quelconque autorité,
que ce soit celle de la religion ou de la conscience. Mais une analyse fine
montre qu’ils ne sont pas libres : en effet, le tyran commence par perdre
sa propre personne. Platon (428 – 347 av. J.C) a qualifié le tyran de «
Grand animal ». Le grand tyran est un grand animal en fait, qui plonge au
plus profond de son animalité à mesure qu’il plonge dans sa tyrannie.
L’obsession du tyran de devenir un dieu le pousse toujours en fin de compte à
se transformer en un animal sauvage. Mais ceci ne peut être compris que si l’on
comprend l’essence de la liberté.
Hegel (1770 – 1830) a traité de l’état
naturel - ce que nous appelons nature originelle, « Fitra ».
Jean-Jacques Rousseau (1712 - 1778) fit, à l’instar des romantiques, l’éloge de
cet état naturel. C’est la raison de leur volonté d’explorer des sociétés
primitives et d’étudier l’homme primitif - à savoir la condition initiale de
l’homme avant la constitution des sociétés et des Etats-, car la société et
l’Etat signifient plus de contrainte et plus de contrôle. Hegel a montré que l’état naturel est un mélange de violence, de brutalité et
d’absence de contrôle sur les passions et sur les instincts. Il a expliqué
qu’il n’est possible d’appréhender la liberté,- qu’elle soit individuelle ou
collective-, qu’en saisissant les contraintes que la société ou l’Etat
instituent. C’est cela le sens de l’autodétermination. C’est d’ici que vient
cette citation : « L’essence de la liberté est l’autodétermination ».
Mais pour simplifier et expliquer, je
dirais que toute activité humaine a deux composantes : une forme et un
contenu. L’écriture a une forme et un contenu, le football aussi, le prêche
également, ainsi en est-il de la liberté, de l’alimentation, de l’habillement,
etc. L’essence de toute chose est dans son contenu et non dans sa forme. Par
exemple, l’écriture qui est vidée de son vrai fond n’est rien d’autre qu’un
amas de phrases, une pléthore de mots dénués de tout sens.
La liberté aussi a un contenu et une
forme. Sa forme peut être définie sous l’angle de la théorie des possibilités.
Considérée sous cet angle, la liberté signifie la possibilité de faire tout et
n’importe quoi. Mais qui peut soutenir que c’est cela la liberté ? Quant
au contenu de la liberté, il ne peut être défini que de manière circonscrite
dans un domaine donné, et selon des concepts et des valeurs précis.
Si cette limitation émane de ma propre
volonté et de mon accord, ceci ne contredit pas la liberté, c’est même
l’essence de la liberté. Exemplifions : nous sommes des habitants d’un même
quartier, et nous remarquons que la signalisation des feux de circulation à un
carrefour donné ne fonctionne pas correctement, fait qui cause nombre
d’accidents. Nous proposons, de concert, à la Commune, d’installer de nouveaux
feux de signalisation. Ce qui arrive après cela, c’est que nous nous conformons
à la nouvelle signalisation sans sentir qu’elle limite notre liberté le moins
du monde, car notre liberté s’est cristallisée au gré de notre volonté.
Sur base du principe selon lequel la
liberté serait une forme d’autolimitation, Montesquieu (1689- 1755) a défini la
liberté, dans L’esprit des lois, comme étant l’obéissance aux lois.
En conséquence, l’être ne relève point de contradiction entre son sentiment
profond de jouir de sa liberté, - bien qu’il soit limité par les lois
religieuses -, et les valeurs et normes sociales qui trouvent sens à ses yeux,
« Montre-toi indulgent, ordonne ce qui est conforme à la coutume »
(Coran, al- A‘râf : 199).
J’ai mentionné les lois religieuses
pour signaler que lors de l’établissement des grands principes, comme celui des
Droits de l’Homme, on a besoin de baser notre construction sur des fondements
supérieurs, car il est difficile de baser de tels principes sur des fondements
immanents.
J’ai avancé ces quelques éléments en
guise d’introduction à ce que je considère être la racine de la plupart de nos
problèmes politiques et sociaux. Seuls quelques rares intellectuels distinguent
les conceptions qui conditionnent l’individu ou la société de leurs expressions
et manifestations. Et, parmi ces conceptions qui nous gouvernent, il y a
l’obéissance qui est synonyme d’un côté de sujétion et de subordination, de
l’autre de domination et d’oppression. Je parlerai donc de la propension à
l’obéissance, ou mieux encore d’obédience, à savoir le fait de pratiquer
l’obéissance et de la percevoir comme étant la cime des vertus, la valeur
suprême et le comportement idéal. Or, il va sans dire que cette obédience n’a
rien à voir avec l’obéissance que Dieu swt et Son Envoyé nous ont commandée, et
qu’elle ne constitue que ce que les despotes et les tyrans prescrivent pour
faire perdurer la situation de subjugation et d’asservissement.
Il est de notre droit de nous demander,
avec vigueur : comment peut-on nous priver de ce dont Dieu nous a honorés-
en nous offrant la liberté de Lui obéir ou de contrevenir à Son ordre et à Ses
interdits ?- « Nous l’avons guidé dans le chemin, - qu’il soit
reconnaissant ou ingrat – » (Coran, al- Insân : 3). « Et par
l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée; et lui a alors inspiré son
immoralité, de même que sa piété! » (Coran, al- Shams : 3).
L’harmonie ne signifie pas ici un comportement angélique. En effet, nous autres
humains ne pouvons trouver une harmonie que dans cette contradiction opposant
la licence et la piété. Aussi, notre humanité se manifeste dans la façon
dont nous élisons notre voie, nos idées et nos valeurs entre tous les
antagonismes et toutes les alternatives qui s’offrent à nous,- élection ô
combien pénible! Notre vie spirituelle étant traversée par des doutes, des
parasitages, des questionnements, des polémiques, des progressions et des
stagnations, des mutations et des concessions. Toutefois, ceci témoigne de la
grandeur de l’homme, laquelle l’a qualifié à être le maître de cet univers et
le vicaire de Dieu sur Sa terre. Combien est formidable cette citation de
Tagore : « Je crois en Dieu parce qu’Il m’a donné la liberté de
mécroire en Lui ! ».
Mais la société et la culture : le père,
la mère, le professeur et le cheikh, le gouverneur et le souverain, l’écrivain,
le poème, le roman, le proverbe, tous essaient de nous priver de cet honneur et
de nous faire croire qu’il ne faut pas réfléchir parce qu’ils réfléchissent à
notre place, et qu’il ne faut pas choisir puisqu’ils ont choisi pour nous.
Cependant, évidemment, ceci ne constitue
pas le dessein de Dieu lorsqu’Il honora l’homme et qu’Il le désigna comme
vicaire sur terre. C’est plutôt la stratégie des despotes. Quiconque essaie de
te duper à propos de cette vérité est un sbire des tyrans. Et même si ces
derniers le disgracient, le torturent, il restera leur serviteur. Ce genre de
sbires entérinent un certain état d’esprit et prêtent main forte à une
conception sociale qui écrase l’individualité de l’homme et sa singularité, si
bien que l’individu devient incapable de se penser comme un être indépendant
qui a ses propres choix, ses propres capacités, - car chacun de nous est un
univers. D’aucuns ont dit : « Le facteur commun entre les humains est
le fait qu’ils soient différents, et ce qui les distingue le plus est leur
diversité ». C’est pour cela que même si ce type de personnes s’oppose à
un tyran, ce sera pour le faire remplacer par un autre. Aussi veulent-ils faire
de nous des esclaves au-dessus desquels se succèdent des maîtres au nom de la
religion, de la Nation, etc.
Dans nos sociétés, nous ne trouvons
personne pour nous parler de nos personnes, non en tant que communauté ou
peuple, mais en tant qu’individualités : de moi, de toi, de lui. Notre
individualité est dissoute dans l’ensemble, notre identité est l’identité de
l’ensemble, nos choix sont les choix de l’ensemble : nul n’a d’existence
en dehors de l’ensemble. Ceci perpétue les conditions propices à l’obédience.
Dans le Livre de Dieu et la Sunna de Son
noble Envoyé, l’obéissance n’a rien à voir avec la subordination : elle
signifie le libre choix. Etymologiquement parlant, le terme obéissance « Tâ‘a »
veut dire accepter d’être mené de plein gré « Son âme l’incita à tuer son
frère » (Coran, al- Mâ’ida : 30), « Et si quelqu’un fait plus de
son propre gré, c’est pour lui » (Coran, al- Baqara : 184). Il s’agit
donc de s’imposer une chose qui n’est pas exigée de soi a priori, mais
que l’on fait de manière volontaire. Jarîr ibn ‘Abdullâh nous rapporte cet
échange avec le Prophète sws: « - Je fais acte d’allégeance au Prophète
sws en m’engageant à écouter et à obéir. - Dans la mesure de tes possibilités,
me dit-il, et à donner conseil à tout musulman»[1]. Par ailleurs,
‘Abdullâh b. ‘Umar a dit : « Nous faisions allégeance au Prophète sws
en nous engageant à écouter et à obéir, et il nous précisait : dans la
mesure de vos capacités »[2]. Il est donc
évident que, dans la perspective islamique, l’obéissance ne peut cohabiter avec
la contrainte et qu’elle en est l’opposé absolu.
Mais comment se fait-il qu’on comprenne
l’obéissance comme étant la soumission à une domination ? Dire oui alors
qu’on n’est pas convaincu n’est en rien de l’obéissance, c’est plutôt de la
subordination et une aliénation de l’individu, qui fait, en fin de compte,
qu’il ne vaut pas plus qu’un chiffre, qu’un membre du troupeau. Or, ceci est la
meilleure chose que l’on puisse offrir au tyran pour qu’il se divinise et
s’enfle davantage d’orgueil. C’est pour cela que la cause principale d’un tel
état des choses n’est ni l’injuste, ni son régime, mais bien moi, toi, le père,
la mère, la maison, l’école, la mosquée et l’université : c’est nous qui
préparons au tyran le troupeau d’équidés à monter et le troupeau de brebis à
sacrifier. Homère (VIII ème siècle. av. J.-C) appelait les despotes
« dévoreurs des peuples ».
Dans la psyché du tyran, rien n’existe à
part son propre ego, comme dit une fois Muhammad ‘Abduh à propos de Muhammad
‘Alî Bâsha : « Cet homme ne tolère en Egypte aucune altérité si ce
n’est son ego ». Tous les tyrans à travers les siècles n’ont foi qu’en
eux-mêmes. Il n’y aurait qu’un seul ego et une seule personne, le reste
n’étant, pour eux, qu’un troupeau. Il est vrai, concèdent-ils, qu’il existe des
femmes, des hommes, des artisans, des savants, mais ils sont toujours conçus
comme un ensemble. Rien n’attise plus la colère du tyran qu’un nom qui se
distingue, serait-ce dans le domaine du football : un joueur dont les
masses clament le nom serait une atteinte à la divinité et à l’unicitude
du tyran.
Ce qui précède explique nombre de choses
qui nous paraissent très différentes lorsqu’elles sont abordées à l’aune de
l’interprétation que nous proposons ici. Par exemple, pourquoi ne nous
respectons-nous pas les uns les autres ? Beaucoup de ceux qui montrent du
respect aux autres le font par servilité et opportunisme - si la personne
respectée détient de l’autorité au niveau ministériel par exemple. Cette
servilité peut atteindre la servitude. Or, la différence entre le respect et la
servilité est aussi grande que celle entre la liberté et la servitude. Et si la
personne respectée est ordinaire, ce respect est souvent de l’opportunisme,
pour la duper dans ses biens, sa famille ou autre chose. Le Prophète sws a
dit : « Et les gens du Feu sont de cinq sortes… et un homme qui,
matin et soir, essaie de te duper dans ta famille et tes biens »[3].
Et selon Abû Jubayra b. al-
Dahhâk : « Quand le Prophète rrr émigra à Médine, il n’y avait pas
d’homme parmi nous qui n’avait pas deux ou trois qualificatifs ; à chaque
fois que l’un de nous était appelé par l’un de ces qualificatifs, on disait au
Prophète sws : « Ô Prophète, cela le contrarie ! ». C’est
la circonstance de révélation de ce verset : « et ne vous lancez pas
mutuellement des sobriquets (injurieux) » (Coran, al- Hujurât : 11)[4]. Il ne
convient pas d’appeler quelqu’un de ton âge : « garçon ! »,
ou « mon enfant ! ». Le Prophète rrr appelait ‘Alî « Ô frère ! » alors qu’il
n’avait pas encore atteint la vingtaine. C’est ainsi qu’il appelait aussi
Mu‘âdh Ibn Jabal, qui est décédé à l’âge de trente-trois ou trente-quatre ans.
Aussi, Mâlik ibn Anas avait un petit frère alors âgé de cinq ans, le Prophète
sws avait l’habitude de lui donner un surnom et de lui dire : « Ô Abû
‘Umayr, qu’a-fait le Nughayr »[5]. Il l’appelait
ainsi pour lui donner de l’estime de soi, par respect envers sa personne.
Ce que je veux dire est qu’il est
impossible à celui qui ne se respecte pas soi-même de respecter les autres.
Quand celui qui ne se respecte pas soi-même montre du respect aux autres, il le
fait par opportunisme et arrivisme, ou bien par crainte et servitude, tandis
qu’il s’enfle d’arrogance et d’outrecuidance à l’égard de ceux qu’il estime
en-deçà de son niveau : il les traite avec dureté, les opprime et se
comporte avec eux de manière indigne, que ce soit du point de vue de la
convenance ou de la religion.
Ainsi l’homme perçoit-il les autres à
l’aune de son propre prisme, car il n’est pas possible de percevoir les autres
avec un autre prisme que le sien. Bakr ibn ‘Abdullâh al- Muzanî a dit :
« Si tu veux voir quelqu’un qui regorge de défauts, cherche un persifleur.
Celui-ci ne critique chez les autres que ses propres tares : il sait qu’il
est menteur et il s’imagine que tous les gens sont menteurs ; il est
convaincu de sa déloyauté, ne fait confiance à personne et s’imagine que tous
sont déloyaux comme lui ». Abû al- Tayyib al- Mutannabî a exprimé cette
nuance en disant :
Lorsque les actes de l’homme sont
mauvais, ses présomptions le deviennent aussi,
Si bien qu’il finit par croire aux
illusions auxquelles il s’est habitué
Il déclare son inimitié à ses proches se
basant sur les dires de ses ennemis
Et plonge ainsi dans une nuit sombre de
doute
Le phénomène de respect peut également
être interprété à la lumière de la période d’enfance : la clef de nos
énigmes est dans notre enfance, notre passé, et non dans nos paroles, ou notre
aspect extérieur. Celui qui manque de respect envers les autres le fait parce
qu’il manque de respect vis-vis de lui-même en fait : il oscille entre la
peur et la colère. Ou bien a-t-il peur des autres ou bien est-il en colère
contre eux. Le Prophète sws a dit : « C’est celui qui dit que les
gens ont péri qui a le plus péri »[6]. Il peut
arriver à tout un chacun de faire la rencontre de personnes dont il admire la
générosité, la sincérité, la spontanéité, la bonté, et la haute moralité. Mais
il est des personnes qui ne voient chez les autres que des défauts et des
tares. Le problème de celles-ci prend source dans leur enfance. La peur et la
colère sont deux manifestations de la subordination et de l’oppression. Celui
qui est opprimé vit constamment dans la peur et la colère, parce que l’on exige
de lui qu’il se comporte d’une façon contraire à la vraie nature dont Dieu l’a
doté. Celui qui ne respecte pas les autres n’était pas respecté lorsqu’il était
encore enfant. On ne l’appelait pas par de petits noms affectueux, et lorsqu’il
commettait une erreur, il en entendait des vertes et des pas mûres. Quel crime
fait-on à nos enfants ! C’est de cette façon que nous fabriquons des
tyrans et que nous leur préparons des esclaves. Nous fabriquons de la servilité
mesquine d’un côté, et de la rébellion dévastatrice de l’autre.
Ceci explique certaines catastrophes qui
frappent nos pays : ou bien une soumission servile, ou bien des explosions
et des attentats, mais pas le juste milieu ! (Je parle, de toute évidence,
de la situation générale dans ces pays). Tout cela advient parce que ces
sociétés sont opprimées et privées de crédibilité, de créativité, de liberté,
de ces choses que l’on peut résumer en un seul mot : l’indépendance. Aide
la personne à être indépendante et tu la verras libre, créative et
sincère ! Tel est le bon départ. Un homme influant dans son pays m’a
raconté un jour une anecdote : son oncle le frappa devant tout le monde
alors qu’il était marié et avait plusieurs enfants. Il réagit en embrassant la
main de son oncle sans émettre le moindre commentaire. Quelles sociétés
folles ! Des sociétés qui ont perdu leur bon sens et leur raison. On se
complait à attribuer ce genre d’attitudes à la religion ou à la convenance
alors qu’en vérité elles témoignent d’une confusion des choses, d’un tohu-bohu
qui fait perdre tout sens aux choses.
A l’inverse, la Sira nous raconte
l’histoire de Sawwâd ibn Ghaziyya. En effet, le Prophète sws, alors qu’il était
occupé à aligner les rangs le jour de la bataille de Badr, le trouva mal aligné.
Le Prophète sws le frappa sur son ventre avec son bâton et lui demanda de
regagner le rang. Celui-ci répondit : « Ô Messager de Dieu !
Dieu t’a envoyé avec la vérité et la justice, tu m’as fait mal, alors
laisse-moi me rendre justice à moi-même! ». Le Prophète sws découvrit son
ventre et lui demanda de rendre justice à lui-même. Toutefois, Sawwâd se
jeta sur le Prophète sws, le serra et embrassa son ventre. Quand le Prophète
sws lui demanda ce qui l’avait poussé à agir ainsi, Sawwâd répondit :
« Ô Envoyé de Dieu ! On se prépare à affronter l’ennemi, comme tu
vois. Et je veux que le dernier souvenir que j’aurai de toi soit le fait que ma
peau ait touché la tienne ! », et Sawwâd de recevoir les prières du
Prophète sws.
Si l’on examine le fonctionnement d’une
école, on remarque que les professeurs se comportent de manière oppressante
envers leurs élèves ; cependant qu’eux-mêmes demeurent assujettis aux
livres établis par le programme. L’enseignant se borne à inculquer un maximum
de choses à ses élèves. Paulo Freire (1921 – 1997) a appelé cette manière
d’enseigner « Éducation bancaire ». Le livre est pris pour un Livre
Saint, tandis que l’enseignant ressemble plus à un prêtre qui l’enseigne. Aucun
écart n’est toléré par rapport au texte, nul questionnement n’est permis. De
surcroît, l’élève est réprimé par l’enseignant, ce dernier étant lui-même
réprimé par le directeur de l’école, celui-ci étant à son tour réprimé par
l’inspecteur, et ainsi de suite.
Lors de la construction de l’Université
du Caire, Cromer (1841 – 1917) - le Régent britannique en Egypte de l’époque-,
disait ceci : « Nous devons respecter les particularités du peuple
égyptien en matière d’éducation, car l’enseignement chez eux est mémorisation
et apprentissage, et ceci doit demeurer inchangé ». Pas de réflexion, de
débat, ou de critique. Il ne fait pas de doute que les colonisateurs savent les
avantages de ce système éducationnel pour le colonialiste.
Pour désigner la plus haute
autorité, nous parlons du chef de l’Etat[7]. Et combien la
langue peut être moqueuse ! Le chef est pour l’Etat ce qu’est la tête pour
le corps : il est la plus haute autorité, tout comme la tête loge en-haut
du corps et abrite le cerveau. Le chef d’Etat serait donc censé réfléchir pour
nous et à notre place : il n’est pas comme nous. Si nous comparons ce
genre de chefs d’Etat au Prophète sws, nous réalisons que le Prophète sws se
considérait comme un membre de sa communauté. « Et moi, je dois ramasser
des rameaux de bois » disait-il une fois à ses compagnons. Il était très
contrarié si ces derniers se levaient de leur place pour le saluer et leur
interdisait cela formellement : « Celui qui aime que les gens se
lèvent pour le saluer, qu’il s’attende à trouver sa place en Enfer »,
disait-il. Il prenait lui-même ses affaires avec ses mains et refusait que l’un
ou l’autre compagnon le fasse et disait : « Il revient plus au
propriétaire de prendre ses affaires ». Aussi, il rapiéçait ses chaussures
et raccommodait ses habits et aidait dans les tâches ménagères. Malgré cela, il
disait à ses compagnons : « Je ne m’estime guère favorisé sur
quiconque, si ce n’est par la prophétie ». Il ne se distinguait
effectivement d’eux ni dans sa façon de s’habiller, ni par une place
particulière dans ses assemblées, car il s’installait là où il trouvait une place,
si bien que lorsque des étrangers venaient le rencontrer, ils ne le
reconnaissaient pas entre ses compagnons.
Un autre phénomène déplorable que l’on
relève dans notre réalité, est celui qui a trait à la punition générale, que ce
soit dans nos foyers, à l’école ou autre. Il suffit que quelqu’un fasse une
faute, et voici que l’ensemble est puni. Certains justifient cette injustice en
citant le faux adage qui dit que la bonté [divine] est personnalisée tandis que
lorsque la punition vient, elle frappe l’ensemble ! Il n’est pas étonnant
que cette mentalité sévisse dans des sociétés qui ne croient pas en
l’individualité de l’être et en son indépendance, qui continuent à considérer
les individus comme membres d’un troupeau.
Comme ceci est loin de la parole de Dieu
swt ! « Nul ne portera le fardeau d’un tiers » (Coran, al-
An‘âm : 164). Même Dieu ne s’est pas donné cette prérogative, de punir le
groupe pour les erreurs d’un ou deux individus. Ceci est l’injustice dont Dieu
swt s’est purifié « Toute âme aura à assumer le poids de ses œuvres »
(Coran, al- Muddaththir: 38). Et au lieu de conformer leurs actes au Coran,
certains mentent sur Dieu en lui attribuant un prétendu hadith Qudsi où Il
aurait dit : « Je suis satisfait quand Je suis obéi. Quand Je suis satisfait,
J’apporte ma bénédiction. Ma bénédiction n’a pas de limites. Mais lorsque Je
suis désobéi, Je me courrouce. Et lorsque Je suis en colère, Je maudis. Ma
malédiction frappe la descendance jusqu’à la septième génération! »[8]. Or ceci est
un mensonge forgé de toutes pièces ! Ceux qui ont fabriqué cette tradition
se sont-ils demandé qui étaient ‘Ikrima ibn Abî Jahl et ‘Umar ibn al- Khattâb,
et qui étaient leurs parents ?
L’être opprimé sera ou bien un esclave
mesquin, ou bien un despote. Très mince est sa chance de vivre de manière
saine, sans commettre l’injustice ou la subir, sans être ni victime ni
bourreau.
Dans ce genre de conditions d’obéissance
qui prédominent dans nos institutions sociales -qu’elles soient matérielles ou
symboliques-, les choses finissent par perdre leur sens : ainsi en va-t-il
de l’amour, de l’amitié, du mariage, de la loyauté, de la fidélité, de la foi,
de la noblesse, de l’honneur, de l’engagement, etc… Les tyrans pensent se
dispenser de ces valeurs, car la façon dont ils se perçoivent eux-mêmes et dont
ils perçoivent les autres les en prive. L’esclave n’arrive pas non plus à
saisir le sens de ces vertus car celles-ci naissent et se développent hors des
relations de tyrannie/servitude. En effet, l’amour, l’amitié, la loyauté, la fidélité,
etc. ne prennent vie et sens que dans une relation équilibrée.
Ceci nous aide à comprendre la vitesse
et la manière dramatique avec lesquelles nos relations se brisent, bien que
certaines aient duré dix ou vingt ans. En effet, elles représentent en vérité
des relations d’asservissement, entre un maître fort et dominant et un esclave
faible et dominé. Et bien évidemment, le maître peut congédier son esclave à
n’importe quel moment, tandis que le souci qui hante continuellement l’esclave
est d’échapper à son maître. L’honneur, la parole, l’engagement, l’amitié et
l’amour du réprimé n’ont aucune valeur, pas plus que ceux du despote.
Je voudrais conclure par cette question
importante : Quel est le poids, aux yeux du tyran, d’une ou de deux
personnes libres qui sèment le trouble? Il peut facilement les mettre dans les
geôles ou les traîner à la guillotine ! Mais que peut-il faire face à dix
millions d’hommes et de femmes libres ? On devrait plutôt poser la
question en ces termes : « Que peuvent-ils faire de lui ? ».
En définitive, la balle est dans notre
camp. Posons-nous donc la question de la liberté : comment faire naître
des êtres libres, indépendants et responsables ? Si vous trouvez la bonne
réponse, vous avez réponse à toutes les questions.
Et louange au Seigneur des mondes.
[1] Rapporté par al- Bukhârî et de
Muslim.
[2] Rapporté par al-Tirmidhî dans
son Jâmi‘.
[3] Rapporté par Muslim dans son
Sahîh.
[4] Rapporté par Ahmad et Abû
Dâwûd.
[6] Rapporté par Muslim.
[7]
Littéralement,
la tête de l’Etat. Ndt.
[8] Ceci est en vérité une tradition
israélite forgée, recensé par Ahmad dans al- Zuhd d’après Wahb ibn
Munabbih, comme quoi Dieu s’est adressé en ces mots aux fils d’Israël.
As Salam Alaykoum,
RépondreSupprimerMasha'Allah, vraiment très enrichissant!! On a pas l'habitude de lire ce genre de chose en france!!
Bonne continuation, on attend la suite... insha'Allah. Qu'Il vous récompense.
Merci pour cette traduction, je partage sur http://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1403-adnan-ibrahim !
RépondreSupprimer'alaykom salam,
RépondreSupprimerMerci pour vos encouragements.
Salem, merci pour la traduction. juste une petite rectification. le verset « Et si quelqu’un fait plus de son propre gré, c’est pour lui » (Coran, al- Baqara : 194) est le 184 et non pas le 194. baraka Allah fikom.
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