jeudi 5 avril 2012

L’humilité préservera le monde

Au Nom de Dieu, le Miséricordieux, le Tout-Miséricordieux. Louange à Dieu, et prière et salutations sur notre Prophète Muhammad. Mesdames et messieurs, chères sœurs, chers frères, que la salutation, la grâce et les bénédictions de Dieu soient sur vous.

Il m’a été demandé de choisir un titre pour cette conférence. Or, il se trouve que j’ai lu, au début de L’idiot- fameux roman de l’écrivain russe Fiodor Dostoievski (1821 – 1881) -, un passage où il dit : « La beauté préservera le monde ». Cette phrase m’a beaucoup plu, mais j’ai préféré la modifier en choisissant comme titre : « L’humilité préservera le monde ». Mais, pourquoi ai-je choisi d’employer le terme humilité au lieu de celui de beauté, vérité, bien, foi religieuse - soit-elle ou non ? La réponse est qu’à mon avis, ces nobles vertus, quand elles sont démunies d’humilité, peuvent se transformer en désastre.

L’Histoire témoigne que, lorsque la foi s’accompagne de fanatisme, elle peut se transformer en désastre, en tuerie, voire mener au suicide. L’Histoire des religions le confirme. La beauté sans humilité peut devenir arrogance. La vérité sans humilité peut aboutir, en fin de compte, à un dogmatisme rétrograde, et ainsi de suite. Mais que représente l’humilité ? Elle constitue la voie du salut en toute circonstance. La première  caractéristique  de l’humilité est qu’elle est profondément humaine. Rien ne convient mieux à l’homme que l’humilité, cette vertu que Dieu enseigna  à notre Prophète lorsqu’Il lui demanda de dire aux mécréants : « C’est nous ou bien vous qui sommes sur une bonne voie, ou dans un égarement manifeste». [Coran, Saba’: 24]. La question est donc ouverte à un débat où chaque partie présenterait ses arguments. 

Selon ce verset, il est une partie qui est sur la voie de la vérité, et une partie qui ne l’est pas. Comment faire pour opérer le bon choix? À travers le dialogue. C’est pour cela que l’humilité nous permet d’abandonner, ou tout au moins de diminuer, le prosélytisme qui affecte les fidèles de toutes les religions. Il existe certainement des religions non prosélytes, telles que l’hindouisme. Par contre, l’islam, le christianisme et le judaïsme, et même le bouddhisme, sont des religions prosélytes. 

L’humilité nous incite à nous défaire de tout esprit de prosélytisme parce que ce dernier est, dans une large mesure, de nature arrogante et fanatique. C’est pour cela qu’au lieu de dire : « Voici ce que je peux présenter au monde », il faut plutôt se demander : « Qu’attend le monde de moi ?». Il y a une grande différence entre les deux approches : lorsque je me demande ce qu’attend le monde de moi, cela m’oblige, illico presto, à m’intégrer dans ce monde, à le comprendre, et à faire preuve d’empathie.

Dans Une défense de la poésie, le poète britannique Percy Shelley dit : « Pour que l’homme soit grand, il faut qu’il essaie de vivre l’expérience de l’autre, de manière à ce qu’il fasse siennes les joies et peines de l’autre». Bien évidemment, cette logique serait incompréhensible pour celui qui est imprégné de l’esprit missionnaire. Pour ce dernier, la question est simple, il n’a pas besoin de connaître le monde, de l’écouter et de s’y intégrer. Il a la formule pour sauver le monde. Ceci peut conduire au désastre si ce missionnaire parvient à une suprématie matérielle. 

Dans le saint Coran, il y a un verset remarquable dans la sourate « Les femmes » auquel on n’accorde pas suffisamment d’attention, même du côté des musulmans malheureusement, parce qu’il va à l’encontre de la logique et de l’esprit communs. Ce verset dit : « Ceci ne dépend ni de vos désirs ni des désirs des gens du Livre, quiconque fait un mal sera rétribué pour cela, et ne trouvera en sa faveur, hors de Dieu, ni allié ni secoureur » (Coran, al-Nisâ’ : 123). Ce qui importe, ce n’est pas de se définir comme juif, chrétien ou musulman monothéistes. Comme vous le savez, le judaïsme, le christianisme et l’islam constituent les trois religions monothéistes. Mais Dieu dit non ! Ce n’est pas l’identification à telle ou telle religion qui compte, car cela ne sera d’aucune utilité à celui qui fait du mal. En effet, Dieu dit que le fait de venir en affichant une telle identification ne vaut rien pour Lui.

Dieu dit dans le verset suivant : « Et quiconque, homme ou femme, fait de bonnes œuvres, tout en étant croyant... les voilà ceux qui entreront au Paradis; et on ne leur fera aucune injustice, fût-ce d’un creux de noyau de datte » (Coran, al-Nisâ’ : 124). Que tu sois juif, chrétien ou musulman, si tu es soumis au Créateur, monothéiste et que tu accomplis les bonnes œuvres, nulle crainte sur toi de subir une quelconque injustice. Les fanatiques juifs, musulmans ou chrétiens ne comprendront pas cette logique. Seuls la comprendront ceux qui ont saisi l’esprit et l’essence de la religion, cette religion divine venue du Ciel. Quant à celui qui croit qu’il a mis la main sur la vérité absolue à travers son interprétation du texte divin, tout dialogue avec lui sera difficile. C’est un homme qui a un tempérament différent de celui que nous voulons éveiller dans notre culture, et, espérons-le, dans la culture universelle. 

Dans son fameux roman  Nathan le sage, l’écrivain d’origine juive Gotthold Ephraim Lessing  (1729 – 1781) raconte l’histoire des trois bagues. A la fin de l’histoire, un juge fait comprendre aux gens que la bague qui a le plus de valeur sera à juste titre attribuée à celui qui est le plus aimable et le plus aimé des gens, celui qui fait preuve du plus de bonté, de sympathie, d’aide et de présence envers les autres. Dans ce roman se trouve une belle illustration des versets de la sourate « al-Nisâ’» : « Ceci ne dépend ni de vos désirs ni des désirs des gens du Livre, quiconque fait un mal sera rétribué pour cela, et ne trouvera en sa faveur, hors de Dieu, ni allié ni secoureur. Et quiconque, homme ou femme, fait de bonnes œuvres, tout en étant croyant... les voilà ceux qui entreront au Paradis; et on ne leur fera aucune injustice, fût-ce d’un creux de noyau de datte ». Ceci est la meilleure interprétation littéraire de ce verset. Nathan le sage est une interprétation qui dépasse les commentaires des savants musulmans de ces versets, même ceux émanant des exégètes spécialisés.

Après chaque prière, le Prophète Muhammad avait l’habitude de dire comme invocation : « Ô Seigneur ! Je témoigne que (…) les hommes sont tous des frères ». En disant cela, le Prophète témoignait devant sa communauté qu’il avait comme principe de considérer tous les êtres humains comme des frères. Le corollaire immédiat découlant de ce principe est qu’il est du droit de chacun de jouir en paix de la liberté de conscience, quelle que soit sa religion. 

Il y a un verset admirable de la sourate « Le pèlerinage » que j’appelle « Le verset de la reconnaissance religieuse » : « Certes, ceux qui ont cru, les Juifs, les Sabéens [les adorateurs des étoiles], les Nazaréens, les Mages et ceux qui donnent à Dieu des associés, Dieu tranchera entre eux le jour du Jugement, car Dieu est certes témoin de toute chose ». (Coran, al- Hajj : 17). Ce verset se distingue des deux versets proches, cités dans les sourates al-Baqara et al-Nisâ’, en ce sens qu’il inclut les polythéistes. Traitant de  la question de « qui a le droit de faire partie de la société où l’autorité suprême est islamique ? », ce verset indique que toutes ces croyances y ont droit de cité, et que c’est Dieu qui tranchera entre elles le jour de la Résurrection. Le jugement n’aura pas lieu dans ce bas monde, on ne peut juger les gens dans ce bas monde ! Je le répète donc, l’humilité nous apprend à essayer d’approcher l’autre, de le comprendre au lieu de le juger, car le jugement que l’on porte sur l’autre peut constituer parfois un péché. Comme dit Saint Augustin dans La cité de Dieu : « Juger les autres depuis notre position est un péché ». Lorsque je juge les autres à partir d’une position de force, parce que je détiens le pouvoir et l’autorité, je commets un péché. Jésus a dit par ailleurs : « Ne jugez pas afin de ne pas être jugés ». 

Richard Rorty (1931 – 2007), l’un des éminents philosophes pragmatiques américains, auteur de La philosophie et le miroir de la nature soutient qu’au lieu de prétendre parler de vérité, d’y avoir le monopole, de chercher la vérité - même chercher la vérité ne nous intéresse plus, dit-il, car, si nous ouvrons cette porte, mille personnes feront irruption en disant « Euréka ! Euréka ! », ce qui nous poussera à recommencer de nouveau-, Richard Rorty  défend qu’au lieu de chercher la vérité, et au lieu de monopoliser la parole au nom de la vérité, il faut débattre. Dialoguons donc ! Telle est la philosophie de cet auteur, ainsi que de Charles Sanders Peirce.

Nous confirmons que le Coran est un Livre formidable sur le dialogue dont le lexique contient plus de trois mille déclinaisons du verbe « Dire ». 

Lessing a une citation remarquable dans laquelle il dit: « Si le Seigneur me donne le choix en me disant : Mon serviteur, dans Ma main droite se trouve la vérité, et dans Ma gauche se trouve la recherche diligente et l’amour de la vérité, choisis donc ! Je m’agenouillerais devant Lui et dirais : « Gloire et Majesté à Toi ! La vérité absolue n’appartient qu’à Toi Seul ! Ce qui me sied est de chercher la vérité, de l’aimer, et de la désirer incessamment. Quant à la vérité absolue, elle T’appartient ! »

Telle est l’humilité. L’humilité est une vraie qualité humaine, dont l’opposé est le paganisme. Celui qui n’est pas modeste, qui pense qu’il est tout, du début à la fin, qu’il détient la vérité, celui-là est un païen qui s’auto-divinise d’une manière ou d’une autre. Seul Dieu crée et se passe de l’aide de quiconque, contrairement aux humains qui ne font qu’apporter leur contribution. Quiconque prétend faire autre chose que contribuer, affirmant par exemple que l’Histoire a commencé avec lui (l’histoire de la science, de la philosophie, des technologies, etc.), et prétendant que personne d’autre n’a contribué à l’élaboration de  ces domaines, est quelqu’un qui s’auto-divinise. C’est un paganisme intellectuel dans lequel tombent certaines personnes.

Celui qui s’intéresse à la science et aux technologies connaît sûrement la fameuse horloge - probablement la plus fameuse que le génie arabe ait jamais conçue, à savoir l’horloge d’al-Jazrî. Cette horloge a la forme d’un éléphant et remonte au 13ème siècle. Elle témoigne de l’histoire de deux génies, tous deux plus grands l’un que l’autre : d’une part le génie de la prouesse technologique, car cette horloge, d’une technologie complexe, relève la différence minime entre les longueurs des jours tout au long de l’année ; d’autre part, cette horloge témoigne d’un autre génie encore plus grand illustré par sa forme. L’horloge d’al-Jazrî a la forme d’un éléphant, allusion faite à l’Inde. Cet éléphant porte un palanquin arabe, sur lequel est étalé un tapis non-arabe, au-dessus duquel s’assied un caravanier arabe enturbanné. À son tour, le palanquin porte un dragon chinois, lequel porte une machine grecque servant de fontaine. Au-dessus de tout, siège un phénix égyptien. 

Quel génie, quelle humilité et quelle reconnaissance ! Je ne crois pas que les Grecs, les Égyptiens, les Perses iraniens, les Indiens ou autres ont envoyé un délégué à ce savant inventeur, qui travaillait au palais de Nûr al-Dîn Mahmûd, pour lui demander de reconnaître leurs apports et contributions. L’humilité nous apprend à reconnaître la vérité et les réalités même lorsque les premiers concernés les négligent.

Au 19ème siècle, Macaulay, l’un des gouverneurs anglais dans le sous-continent indien soutenait dans l’un de ses écrits qu’une seule étagère d’une bibliothèque occidentale - contenant cent ou deux cents ouvrages - équivalait à tout le patrimoine indien: toute la production des hindous, des bouddhistes et des musulmans qui n’y avaient rien apporté prétendait-il. Aujourd’hui, nous constatons que des historiens européens et américains de renommée tiennent un langage tout à fait différent. Peut-être n’ont-ils pas autant de savoir que Macaulay, mais ils sont portés par une plus grande éthique : ils sont humbles et l’humilité les conduit à la vérité. Parmi les derniers scientifiques de cette trempe, il y a Jacques Goody, auteur de L’Orient en Occident et Le vol de l’histoire.

Comparons la parole de Macaulay avec ce que l’écrivain anglais Thomas Carlyle a affirmé dans de multiples articles critiques : « Les racines de notre civilisation occidentale prennent source dans trois fondements : La religion protestante, l’imprimerie et la poudre à canon ». De toute évidence, Carlyle savait que l’imprimerie et la poudre à canon étaient deux inventions chinoises, ce qui signifie que, selon lui, presque trois quarts des fondements de la civilisation occidentale venaient d’Orient, de Chine plus exactement. Deux cents cinquante ans avant Carlyle, Francis Bacon écrivait dans son livre La nouvelle machine - dans lequel il mit les bases de l’empirisme en réponse à la scolastique -, que le développement de la civilisation occidentale trouvait sa source dans trois produits de la civilisation chinoise : l’imprimerie, la poudre à canon et l’aimant. Ce faisait, Bacon attribuait tous les fondements de la civilisation occidentale à l’Orient.

Il semble que le monde soit plus en connexion, plus en échange et en convivialité que ce que veulent nous faire croire certains racistes, certains politiques, certains journalistes et certains ignorants. Il y a plus de coopération entre les différentes parties du monde que ce que nous pensons. Mais, malheureusement, ce ne sont pas ceux qui ont plus de savoir ou de sagesse qui façonnent l’opinion publique dans le monde, mais ceux qui ont le plus d’influence, et ceci est une partie du drame de l’humanité aujourd’hui. 

Il n’est du droit de personne de tomber dans l’essentialisation à propos des autres, et c’est ce que nous apprend l’humilité. De nature intolérable, l’essentialisation est une opération difficile mais qui est facile à réfuter. La nature de l’homme et de la société humaine est complexe. Tout ce qui a trait à l’homme est très complexe, sujet d’une essentialisation qui peut facilement être déconstruite. Cette essentialisation s’opère de différentes manières. Le poète palestinien Murîd al- Barghûthî en a subtilement décrit une en disant : « Si tu veux essentialiser l’autre, tu n’as qu’à raconter son histoire, fais-toi l’auteur de l’histoire et commence toujours par la « deuxième » cause du problème au lieu de commencer par la « première ». Ainsi, l’autre sera essentialisé, voire diabolisé ».

Prenons un exemple pour illustrer cela. Si on veut raconter l’histoire du peuple palestinien, et qu’on commence par mettre en évidence les réactions violentes des Palestiniens à l’encontre des Israéliens (attentats suicides, assassinat d’enfants et d’élèves innocents), on aura du Palestinien une image diabolique. Mais si on commence à relater l’histoire comme le ferait un vétéran palestinien - car des Palestiniens qui furent témoins du premier chapitre de leur tragédie subsistent encore (certains ont les clés de leurs maisons et restent sur leurs terres, d’autres, ne désirant pas partir loin de leur terre, vivent en exil, fixant des yeux la Palestine historique, depuis le Liban et la Syrie. Quiconque d’eux commencera par: « Il était une fois un peuple paisible, simple et  pacifique. Un colonisateur vint de l’étranger. Il l’en expulsa, le massacra et prit sa place »)-, on obtient un autre point de vue que si on commence par raconter la réaction des Palestiniens face à l’occupation. 

La même chose s’applique au cas des Amérindiens. Si l’un d’eux commençait à raconter son histoire, il ferait exactement comme le Palestinien et dirait qu’il faisait partie d’un peuple paisible. Ce peuple a été décrit comme étant un peuple paisible, simple et bon qui ne connaissait pas la violence (ne levant jamais la main, la pire chose que puisse faire un Amérindien est de hausser sa voix). Se produisit l’invasion des Espagnols et des Anglais, et les choses changèrent. Mais si on commence à narrer l’histoire à partir de la réaction des Aborigènes, en parlant de ceux qui rasent leur cuir chevelu - comme sont dépeints les Aborigènes dans les films hollywoodiens (chose qui n’a jamais été avérée)-, le résultat sera autre. 

Envisager les choses sous cet angle témoigne d’une sorte d’arrogance qui va à l’encontre de l’humilité. C’est pour cela que l’humilité sauvera la vérité, le monde, nous sauvera et sauvera notre avenir : celui de nos croyances, de nos idées, de nos espoirs, de nos enfants et de tout ce que nous avons de plus cher. 

Grâce à cette humilité ouverte, il est possible que la victime d’aujourd’hui soit le sauveur de demain. Sigmund Freud disait que la victime d’hier devenait le bourreau d’aujourd’hui - fait qui s’est réellement avéré -, mais la victime d’hier pourrait également devenir le sauveur d’aujourd’hui… Comment ? L’histoire de l’Inde raconte que lorsque les Babyloniens expulsèrent les juifs de la Palestine historique, ces derniers se dispersèrent dans le monde. Une grande partie s’installa à Babel, mais une minorité s’établit en Inde et y fut bien accueillie. L’Inde leur donna une totale liberté et les laissa vivre comme ils le souhaitaient. 

L’histoire chrétienne nous raconte après cela que Saint Thomas (l’un des apôtres, connu pour sa grande suspicion, il n’acquiesçait qu’après moult questions et après avoir animé les doutes à la façon de Descartes) fuit en Inde vers l’année 52 pour préserver sa religion. Il fit échouer son embarcation dans une plage de Faridabad, une des grandes provinces d’Inde. Une fille juive de la minorité juive précitée l’accueillit, le mit en sécurité, le nourrit et s’appropria sa cause. En accueillant Thomas, cette fille, victime d’hier, devint le sauveur d’aujourd’hui. C’est de cette façon aussi que les croyances peuvent être sauvées.

Lorsque les Espagnols expulsèrent les musulmans ainsi que les juifs d’Espagne, ces derniers se réfugièrent auprès de l’Etat Ottoman qui les accueillit et garantit leurs droits. Ils cherchèrent refuge également auprès des pays du Maghreb qui les accueillirent, l’Histoire témoigne de cela. Aujourd’hui, l’Histoire contemporaine témoigne que l’Europe et les USA accueillent les musulmans, certains ayant fui l’autorité de leurs gouverneurs, d’autres étant condamnés à mort ou à la réclusion à perpétuité, etc. Nous en sommes témoins. C’est une chose formidable que trois cent quarante langues cohabitent à Londres ! C’est le meilleur chapitre de la réalité anglaise contemporaine.

J’attire toujours l’attention de mes frères et sœurs musulmans sur cette capacité exceptionnelle d’inclure l’autre. Nous avons besoin de développer cette flexibilité et cette humilité. L’humilité nous apprend à être équitables avec nos sens, de façon à faire usage de notre faculté d’audition pour écouter l’autre, tout comme nous jouissons de notre faculté de parler et de voir… Pourquoi ? Parce que personne ne peut affirmer – sauf s’il est un païen prétendant détenir la vérité absolue – que ses objectifs sont toujours établis sans hésitation. Je ne parle pas au niveau des individus mais à l’échelle d’une culture, d’une société, d’un peuple. En effet, si une telle affirmation ne peut être tenue au niveau individuel, que dire à l’échelle d’une nation ? En vérité, les objectifs ne cessent d’être revus au regard de leur pertinence, principe ô combien important en matière d’éducation. 

Cependant, si nous échouions dans la réalisation de nos objectifs, que nous hésitions dans leur établissement, ou que nous attendions de choisir les objectifs adéquats, une seule chose pourrait nous sauver, à savoir l’humilité. Celle-ci nous donne, en effet, l’occasion de poser des questions, de demander des conseils, d’écouter les différents avis, de comparer, et de choisir, à partir de cela, en impliquant les autres. Cela nous sauvera. Mais si nous pensons n’avoir nul besoin de l’autre, toute déviation par rapport à l’objectif, tout manque de clarté peuvent se traduire par un échec sanglant. Cela survient à l’échelle de certains peuples. Il y a des cultures qui se suicident de cette façon.

Ce qui a peut-être inspiré le titre de cette conférence à mon inconscient est qu’il y a une dizaine de jours, j’ai reçu un professeur universitaire octogénaire d’une Université arabe qui m’a fait part de sa déception à propos d’un autre collègue qui, dans la soutenance des diplômes supérieurs, reproche aux étudiants leurs citations d’intellectuels, savants ou philosophes européens ou américains. Ce collègue rentre avec les étudiants dans une vaine polémique, menant ces derniers dans une grande impasse.

Comment ce professeur d’université, d’un certain âge, peut-il justifier ou prouver cette perfection chimérique ? Se suffirait-il à lui-même ? N’aurait-il aucun besoin de connaître d’autres systèmes de pensée, d’autres études ? N’aurait-il donc pas besoin d’écouter, de lire, de découvrir… Comment serait-ce possible ? Cette attitude n’est pas digne d’un académicien respectable. C’est une attitude théologique intolérante digne du Moyen-âge, voire d’avant. La masse adopte de telles attitudes, chose normale puisqu’elle met du temps à changer. Parfois, des siècles entiers passent sans que la perspective globale change. Mais, apparemment, ce n’est malheureusement plus une attitude propre à la masse, car certains académiciens commencent à agir de la sorte. Triste constat, car de telles personnes ne manquent pas d’intelligence ni n’ont besoin de lectures. Par contre, ils ont besoin d’une valeur éthique et spirituelle appelée l’humilité. Ils ne connaissent pas cette vertu et ne l’ont jamais vécue. C’est pour cela que jamais ne leur vient à l’esprit l’idée d’ouvrir un livre étranger pour le lire ou le traduire, car provenant d’une sphère culturelle différente, et ceci est un véritable désastre.

Plus une réalité acquiert une dimension globale, plus il devient difficile de l’employer pour servir des desseins de moindre importance, sauf si on la falsifiait. Je donnerai un exemple pour illustrer mon propos : si un Égyptien adopte une approche crispée de l’identité, ne s’identifiant qu’à l’Egypte, affirmant que ni l’arabité, ni l’islamité, ni l’humanité ne le concernent, il se dit Égyptien et rien de plus. Il ne fait aucun doute que cette réalité présumée, bien essentialisée en vérité - car occultant les autres facettes de son identité – est capable de préparer les gens à une guerre contre la Libye, le Soudan, la Tunisie ou la Palestine par exemple. Cette réalité, dépouillée de ses autres dimensions, peut être employée à hauteur de sa taille : puisque je suis Égyptien, et rien de plus, je peux être, naturellement et de toute évidence, ennemi du Tunisien par exemple, etc…

Mais s’il élargissait son angle d’approche, se définissant comme Égyptien arabe, le fait qu’il soit Égyptien arabe pourrait-il être employé contre les Tunisiens, les Libyens ou les Palestiniens ? Impossible, car il serait Arabe et eux aussi : des frères appelés à s’entraider. S’il élargissait encore sa définition et se disait Égyptien, Arabe et musulman, cette réalité ne pourrait être employée contre les Turques, les Pakistanais ou les Malaisiens, etc. Par contre, elle pourrait toujours être utilisée contre les non-musulmans : les Coptes égyptiens par exemple. C’est pour cela que de telles approches ne me réjouissent pas. Nous avons l’habitude de parler  avec un ton fiévreux. Or, notre approche devrait être plus humble, car nous avons des concitoyens d’une autre religion.

Quels points communs peuvent m’unir à ce concitoyen minoritaire ? L’arabité sûrement. Si je considérais un niveau plus large, l’islamité, je m’apercevrais que tous les Arabes ne sont pas musulmans, le cadre de l’islam étant plus large que celui de l’arabité. Mais, si j’élargis encore mon approche, je dirais : « Je suis humain ! ». Le Prophète disait : « Seigneur ! Je témoigne que les humains sont tous des frères ». Nous sommes tous fils d’Adam et d’Eve, des humains. C’est pour cela que de telles réalités, de portée limitée, ne peuvent être utilisées contre la grande réalité « Je suis humain ». Il ne nous reste donc qu’à prendre la main des uns et des autres et à marcher ensemble car nous sommes tous des fils d’Adam.

Quand nous parlons de la complexité et de la multiplicité des valeurs, il nous incombe toujours de signaler cette grande réalité, à savoir que nous sommes des humains, des fils d’Adam. Pour être honnêtes, il faut reconnaître ici une dialectique compliquée : la conception que j’ai de mon humanité est en articulation avec ma culture, dont l’un des piliers est ma religion. Ceci a un certain effet. Mais il m’incombe de revoir le sens que je donne à la religion, la signification de ma conception de ma religion, et le sens qu’acquiert ma religion pour moi, eu égard à mon humanité. C’est un mouvement de va-et-vient incessant qui enrichit et approfondit ma religiosité, de même que la compréhension de mon humanité. J’y gagne à tous les coups, car avec une telle approche je serai plus profond, plus enrichi. 

Je me limite à ceci en vous remerciant pour votre bonne écoute, que Dieu vous embrasse de Sa paix, Sa grâce et Ses bénédictions. 

4 commentaires:

  1. As Salam Alaykoum,

    Magnigique, masha'Allah.

    Et traduction de très bonne qualité, ça fait plaisir à lire!! Qu'Il vous récompense.

    J'attends la suite insha'Allah... ;-)

    Au plaisir.

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  2. J’ai également compris récemment que l’humilité était le stade suprême de la sagesse, ce vers quoi on doit tendre.
    Je voudrai ajouter ceci : d’autant plus que pour garder une certaine hauteur dans le monde matérialiste et mercantile qui nous est présenté aujourd’hui comme LE MODELE, la notion « d’effacement de soi » nous ramène à notre juste dimension, d’être humain, seulement.
    Amel H, d'Alger

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  3. J’ai également compris récemment que l’humilité était le stade suprême de la sagesse, ce vers quoi on doit tendre.
    Je voudrai ajouter ceci : d’autant plus que pour garder une certaine hauteur dans le monde matérialiste et mercantile qui nous est présenté aujourd’hui comme LE MODELE, la notion « d’effacement de soi » nous ramène à notre juste dimension, d’être humain, seulement.

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